Homélie du 13ème dimanche du temps ordinaire

Père Févély Loubayi
Chers frères et sœurs, bien-aimés de Dieu,
La liturgie de ce dimanche nous propose trois textes qui mettent en lumière l’attitude de Dieu et de Jésus face à la souffrance et à la mort. Ces textes nous convient à une réflexion sur la vie et sur l’espérance en une existence impérissable.
On souligne habituellement, dans la catéchèse des miracles, le lien qui, dans les récits évangéliques, semble nécessairement unir les guérisons et une démarche confiante de la part de ceux qui en sont les bénéficiaires. Bien loin de nous être présentée comme un résultat du bienfait obtenu, la foi, une certaine foi au moins, apparait au contraire comme un préalable exigé par Jésus : ainsi, dit-on, se distingue-t-il radicalement des guérisseurs ou faiseurs de prodiges que connaissait le milieu ambiant, tant que paien.
Que penser alors de la curieuse narration que nous fait Marc aujourd’hui, mettant en scène une femme qui se trouve guérie sans que Jésus semble l’avoir voulu et pour avoir seulement touché son manteau ? Si d’autre part beaucoup de lecteurs admettent la possibilité de guérisons physiques plus ou moins étonnantes, tous ne seront pas prêts à juger vraisemblable une résurrection ; d’ailleurs le récit de Marc affirme-t-il bien que la fillette de Jaïre était morte ? Les trois synoptiques rapportent le double événement : la guérison d’une femme atteinte d’un flux de sang et la resurrection de la fille de Jaire.
L’attention ne doit pourtant pas se laisser accaparer par la vivacité colorée du récit. Le contexte des gestes de puissance accomplis par Jésus procure à cette scène autre chose qu’un intérêt purement anecdotique.
Dans nos deux récits, les thèmes majeurs sont le salut ( la victoire de la vie sur la mort) et la foi (dans sa dimension personnelle). Ces points communs laissent entendre que les deux récits ont pour Marc la même signification.
Marc relate d’abord la demande du préposé de la synagogue de bien vouloir, en lui imposant les mains, guérir sa fille gravement malade ; en fait elle est mourante. Jésus suit Jaire ; pendant qu’ils cheminent , un autre grand miracle s’accomplit : une femme qui parvient à le toucher est guérie de son flux de sang. La pause qui s’établit ainsi dans le récit sert à en préparer une nouvelle phase : dans l’intervalle, la fille de Jaïre est morte. Lorsque Jésus arrive devant la maison, les pleureuses font déjà leur office. C’est ainsi que la guérison d’une malade est suivie de la résurrection d’une morte : c’est un point culminant de l’activité de Jésus en tant que dispensateur de la vie.
Jésus a senti qu’une force est sortie de lui. Les disciples n’ont pas remarqué la délarche de la femme, encore moins le miracle qui vient de s’accomplir sous leurs yeux. Pour eux la question de Jésus : Qui m’a touché ? est déplacée.
Mais Jésus regarde tout autour de lui, apparemment courroucé, cherchant à distinguer qui l’a touché. L femme doit se dénoncer en révélant ce qui s’est passé. Jésus explique à la femme et en memet temps aux disciples, la signification du geste qu’elle vient de faire : c’est la foi qui l’a poussée et, à cause de cette foi, elle a réçu le salut.
La foi de cette femme, toute primitive qu’elle soit, toue guidée par un calcul intéressé, obtient gain de cause. Tous les moyens humains ont été employés pour y remédier, en vain. Le sang pour un juif, c’est la vie, c’est l’àme. Cette femme perdait sa vie, son àme s’écoulait incurablement. Tout ce qu’elle touche est frappé d’impureté rituelle. Elle n’aurait pas dû se trouver dans la foule, à plus forte raison n’avait-elle pas le droit de toucher le prophète. Et elle vient sans rien dire, par derrière comme pour voler son miracle. Elle a dû être certaine de son fait : elle se jette à l’eau.
Chers frères et sœurs, bien-aimés de Dieu,
Le deuxième miracle est celui de la résurrection de la fille de Jaïre. En effet, Jaïre est un des notables de la synagogue, un notable juif sans doute de quelque ville au bord du lac. C’est un homme qui a une position officielle dans le judaïsme et dont la démarche auprès de Jésus, déjà suspect et banni par les autorités, peut surprendre. Il brave l’opinion et se place dans une situation compromettante. Son comportement à l’égard de Jésus exprime sa foi ; de même son attitude devant Jésus : il tombe aux pieds du maître. C’est l’attitude de tous ceux qui viennent le supplier et reconnaissent en lui un envoyé de Dieu.
"Viens lui imposer les mains, pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive". La demande de Jaïre ne concerne pas le salut, mais la vie corporelle. Pour la mentalité juive, la vie en elle-même est un bonheur et le salut ; la puissance de la mort touche l’homme dès la maladie. Cette puissance remporte la victoire sur l’homme dans la mort corporelle et lors des funérailles, elle emmène dans l’empire des morts. En guérissant les malades Jésus est déjà un dispensateur de la vie et lorsqu’il ressuscite une mort ce n’est rien d’autre qu’une distribution de la vie au suprême degré.
Frères et sœurs,
Faire œuvre de vie pour tous ceux qui ne vivent pas en plénitude, tous ceux qui sont écrasés par des conditions de vie trop dures. "Je ne peux pas me dire du Christ, si ma vie n’est pas vraiment engagée dans le combat avec mes frères pour la justice, la paix, la dignité, la solidarité", écrivait un ouvrier chrétien. Faire œuvre de vie pour les jeunes foyers sans logement, pour les vieillards et les infirmes, ceux que la société oublie parce qu’ils ne sont plus rentables et qu’ils n’ont pas de voix pour se faire entendre.
Faire œuvre de vie en redonnant l’espoir à ceux qui se découragent et en relevant ceux qui tombent. Faire œuvre de vie en acceptant, au besoin, à la suite de Jésus, d’être comme le grain de froment qui meurt en terre pour ressusciter et porter ensuite beaucoup de fruits.
Oui, nous devons faire œuvre de vie afin de signifier aussi par là que le Christ appelle tous les hommes au passage suprême de la mort à la vie. Car nous savons bien, la mort terrestre aura toujours raison, en définitive, de notre vie terrestre. Les lois de la nature sont là et, qu’on le veuille non, la mort est un phénomène naturel lié indissolublement à la vie d’ici-bas. Seuls les non-vivants ne meurent pas.
Depuis que Jésus-Christ est passé par la mort terrestre et qu’il est ressuscité, vivant pour toujours auprès du Père, nous savons aussi qu’il nous appelle tous à passer de cette vie terrestre à la vie définitive.
Désormais, la mort physique ne nous apparaît plus comme une impasse, comme un retour au néant, mais comme un passage vers la vie auprès de Dieu. Le livre de "la sagesse" disait déjà : "Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu’il est en lui-même.